• Des livres jeunesse non-sexistes pour tordre les clichés à la racine

    Véronique Cochard tient un livre pour enfants véhiculant des clichés sexistes, en mai 2011 à Lille (Marie Kostrz/Rue89).

    (De Lille) A 9 heures, près de Lille, la bibliothèque de Lézennes est encore déserte. Jusqu'à ce que deux femmes franchissent les portes de l'établissement les bras chargés d'une grosse caisse remplie de livres pour enfants. Certains sont truffés de préjugés sur la place de l'homme et de la femme dans la société. D'autres non.

    Depuis juillet 2010, Véronique Cochard et Brigitte Kaiser mènent un projet qui a encore peu de doublons en France. Avec leurs organisations respectives, le Collectif régional pour l'information et la formation des femmes (Corif) et l'Institut lillois pour l'éducation permanente (Ilep), elles luttent contre les stéréotypes de genre qui sont véhiculés dans les livres pour enfants

    Au premier étage de la bibliothèque, douze femmes – pas un seul homme n'est présent – bavardent joyeusement. Elles travaillent toutes dans le secteur de la petite enfance et suivent l'atelier créé par les deux collègues.

    Après avoir travaillé sur l'égalité homme-femme dans le monde professionnel, puis avec les lycéens et collégiens, Véronique Cochard s'est rendu compte que la sensibilisation devait commencer encore plus tôt. Pour éviter que le sexisme ne soit intégré par les enfants dès leur plus jeune âge, rien de mieux selon elle que d'agir auprès des adultes qui prennent soin d'eux au quotidien.

    « Le masculin, toujours mieux à même de représenter l'universel »

    Ce projet, financé par l'Union européenne, est également mené en Italie, en Belgique et en Suède.

    Le livre est pour les deux femmes un support intéressant : l'enfant le tient entre ses mains dès l'aube de sa vie et les stéréotypes sont encore nombreux à se glisser entre ses pages.

    La mise en cause de la littérature jeunesse comme médium de transmission des rôles des femmes et des hommes dans la société n'est pas nouvelle. En 1949, Simone de Beauvoir avait déjà fait ce constat dans »Le Deuxième Sexe ».

    Plus de cinquante ans après, les inégalités perdurent dans la littérature jeunesse. Contactée par Rue89, Sylvie Cromer, sociologue spécialiste des questions de genre et maîtresse de conférence à l'université Lille-II, précise :

    « Il n'y a plus beaucoup d'ouvrages où la maman fait la vaisselle pendant que le papa lit son journal dans le fauteuil. Mais malgré tout, les stéréotypes perdurent car le masculin est toujours mis en avant, il est toujours mieux à même de représenter l'universel. »

    Elle précise que les hommes sont toujours dominants dans les histoires, particulièrement lorsqu'il s'agit d'adultes : ils représentent 60% des personnages. Les clichés sont nettement plus marqués dans les ouvrages destinés aux plus petits.

    Des livres de la série Martine (Marie Kostrz/Rue89).

    « Une fille aura toujours une jupe ou une robe et des bijoux »

    Dans les magazines adressés aux 0-6 ans, les garçons entretiennent des relations plus diversifiées que les filles, qui restent plus facilement cantonnées à la famille.

    Brigitte Kaiser confirme que les stéréotypes sont particulièrement visibles pour les très jeunes :

    « Pour la formation, nous avons cherché des ouvrages non-sexistes pour les tout-petits, nous avons eu énormément de mal à en trouver. »

    De manière générale, les personnages masculins sont également moins « marqués » :

    « Un garçon n'aura pas forcément une barbe ou des lunettes alors qu'une fille aura toujours une jupe ou une robe et des bijoux. »

    En espérant que le soir, « ça discute en famille »

    A Lézennes, c'est la troisième et dernière fois que les douze femmes se retrouvent pour parler sexisme. Assises autour d'une grande table et avant de s'atteler au décryptage de la série de livres Martine, elles partagent leurs impressions sur la veillée de contes organisée quelques jours auparavant à la bibliothèque.

    Un à un, Brigitte Kaiser et Véronique Cochard sortent des ouvrages de leur caisse. Tous ceux qui ont été lus aux enfants étaient entièrement non-sexistes.

    A l'évocation du livre « A quoi tu joues ? » qui démonte les stéréotypes tels que « les garçons, ça ne joue pas à la poupée », Isabelle Renard, responsable d'une halte-garderie, pense que « le soir, ça a dû discuter en famille ».

    Elle suppose qu'à l'avenir, les parents penseront que leur garçon deviendra un bon papa plutôt que de dire qu'il risque de devenir une fille.

    éronique Cochard présente l'ouvrage "A quoi tu joues ?" (Marie Kostrz/Rue89).

    Depuis la première séance, le discours des participantes a sensiblement évolué. Selon Véronique Cochard, elles sont à présent capables de sensibiliser les enfants comme les parents. Florence Bernard, qui encadre les enfants à la garderie, a apprécié la formation :

    « Je ne m'étais jamais posé ces questions sur les stéréotypes. Cet atelier permet d'avoir un autre regard sur les livres que nous lisons aux enfants et de mieux les choisir. »

    C'est aussi la première fois qu'Anne-Lise Hainant, toute jeune bibliothécaire, suit une formation sur la littérature non-sexiste. La jeune femme assure que l'influence de la formation dépasse sa propre personne : lors des réunions avec ses collègues des autres établissements, elle ne manque pas de « les sensibiliser ».

    « Je ne mets plus forcément un bavoir rose à une petite fille »

    Parti du livre, l'atelier permet néanmoins de faire évoluer le regard des professionnels sur l'univers dans lequel les enfants évoluent. C'est notamment le cas avec les jouets, qui reproduisent sensiblement les divisions entre hommes et femmes. Florence Bernard reconnaît :

    « Avant, on avait le réflexe de ne sortir que la caisse des jouets de garçons si aucune fille n'était à la garderie. Ce sont des habitudes dont on cherche à se débarrasser. »

    Isabelle Renard, responsable d'une halte-garderie, a conscience que la distinction entre filles et garçons est reproduite par les adultes :

    « Quand les enfants sont très petits, ils n'ont aucun préjugés sur les jeux, les garçons vont vers le coin poupées d'eux-mêmes. Les petites filles sont aussi contentes de jouer aux petites voitures. »

    L'atelier l'incite à être plus attentive à certains gestes du quotidien, répétés de manière inconsciente :

    « Je ne mets plus forcément un bavoir rose à une petite fille. »

    Pour les garçons, la peur constante de l'homosexualité

    Une participante feuillette un livre de la série Martine (Marie Kostrz/Rue89).Ce qui n'est pas toujours évident, la société accusant un retard dans le domaine :

    « Nous avons refait le coin poupées, avec la volonté de ne pas acheter de meubles roses. Nous avons eu énormément de mal à en trouver d'une autre couleur ! »

    Malgré le succès évident de l'atelier, certains préjugés ont la vie dure. Brigitte Kaiser regrette que si les filles s'aventurent assez facilement dans le domaine réservé habituellement aux garçons, le contraire est beaucoup moins fréquent :

    « Pour une fille, se comporter “comme un garçon” est valorisant, alors que le contraire est encore honteux. Chez les parents des petits garçons, il y a toujours la peur de l'homosexualité. »

    Pendant l'atelier, une des éducatrices lance :

    « Hors de question que mon fils fasse de la danse, sauf si c'est du hip-hop ! »

    Sylvie Cromer, sociologue, a aussi remarqué que cet obstacle est difficile à franchir :

    « Il y a une croyance très vivace que l'égalité des sexes va apporter une confusion entre les sexes. »

    Un déterminisme fabriqué qui bloque les enfants

    Face à cette crainte, les enfants intériorisent certains comportements. Les professionnels de la petite enfance évoquent souvent le cas de petits garçons « honteux de dire qu'ils aiment jouer à la poupée ».

    Sylvie Cromer poursuit :

    « L'assignation des sexes n'est pas naturelle. Il faut qu'on arrive à faire comprendre que le sexe ne doit pas être un déterminisme car cela bloque le potentiel des enfants. »

    La sociologue n'est pourtant pas pessimiste : dans les livres, les personnages d'enfants sont de moins en moins clivés, contrairement à ceux des adultes. Les rôles des filles et des garçons sont beaucoup plus interchangeables qu'auparavant. Les enfants sont également plus réceptifs au discours antisexiste. Elle affirme :

    « Dans les livres comme dans la société, les rapports entre les sexes bougent. »

    Un catalogue de livres pour enfants non-sexistes (Marie Kostrz/Rue89).

    Mis à jour le 17/08/2011 à 17h20 : Sylvie Cromer est maîtresse de conférence et non professeur.

    Photos : Véronique Cochard tient un livre pour enfants véhiculant des clichés sexistes, en mai 2011 à Lille ; des livres de la série Martine ; Véronique Cochard présente l'ouvrage « A quoi tu joues ? » ; une participante feuillette un livre de la série Martine ; un catalogue de livres pour enfants non-sexistes (Marie Kostrz/Rue89).


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